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Le Blog de Jonathan Fanara

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« La Poison » : sans amour, mais jusqu'à la mort

Publié par Jonathan Fanara sur 15 Mai 2016, 16:27pm

Catégories : #Cinéma

« La Poison » : sans amour, mais jusqu'à la mort

Comme les poupées russes s'emboîtant les unes dans les autres, La Poison enchâsse au milieu d'une tragédie domestique une suite ininterrompue de coups de semonce. Ils se vouent au mariage, à l'appareil judiciaire, à une économie chancelante et à une communauté microcosmique lasse et hypocrite, désespérée au point de quémander un miracle à un prêtre afin de redonner du souffle à une ville en état de crise.

 

Au coeur du récit, deux conjoints frappés de frustration. Paul Braconnier et sa femme Blandine s'épuisent à tel point dans un mariage sans amour qu'ils préparent minutieusement leur assassinat respectif, sans se douter une seconde qu'ils partagent les mêmes desseins machiavéliques. L'époux affligé, campé par un Michel Simon impérial, se désole de voir sa femme « boire trois litres de vin par jour » et « casser la vaisselle ». Il use d'un stratagème pour obtenir à bon compte les conseils avisés d'un avocat parisien, sorte de magicien du barreau spécialisé dans la défense des coupables. Leur rencontre donne lieu à quelques échanges pimentés et à des champs/contrechamps confondants de sournoiserie. L'avocat dira de Braconnier qu'« il tient à la fois de la chimère et du clown », observation aussitôt vérifiée à l'occasion d'un procès des plus saugrenus, où il sera notamment question d'attester de la laideur de Blandine, en faisant circuler dans la salle d'audience une photographie que l'on devine peu à son avantage. L'épouse au physique ingrat, interprétée par Germaine Reuver, n'est certainement pas en reste : elle éructera ainsi à Braconnier n'être jamais assez saoule « pour oublier sa gueule », et cherchera discrètement à l'empoisonner pour clore définitivement leur calvaire commun.

 

Avec une liberté de ton et une noirceur à toute épreuve, Sacha Guitry bat en brèche une certaine idée du mariage, gangréné par une amertume assez similaire à celle décrite récemment par David Fincher dans le très malsain Gone Girl. Les repas sans joie, les doléances mutuelles, le mutisme de plomb ou les regards désapprobateurs constituent autant d'éléments à charge de l'institution matrimoniale, dont la fragilité est exprimée tout entière par un mari s'échinant à déserter le plus longtemps possible le foyer conjugal. Tout aussi mordante est cette description caustique des villageois : ils viennent en foule soutenir Paul Braconnier pour avoir tiré la couverture médiatique au bénéfice d'une bourgade qui était en voie de stagnation. Le crime ayant l'importance qu'on consent à lui attribuer, il se trouve réduit à bien peu de choses en temps de crise économique. Le procès, qui précède un montage alterné des plus inspirés, confère par ailleurs à Sacha Guitry un prétexte commode pour révéler les béances d'une justice manipulable à merci. Et puisqu'on en était à évoquer les poupées russes, il est bon de rappeler que La Poison se loge lui-même dans un cycle de comédies noires qui contribua au rayonnement légitime de son auteur. Voilà Ernst Lubitsch en bonne compagnie en ce qui concerne le comique sophistiqué.

 

 

Lire aussi :

"Inside Llewyn Davis" : la sacralisation du perdant

Étendre le champ du possible

Le Plus : "Shotgun Stories" / Le Moins : "Le Crocodile de la mort" (#42)

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