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Le Blog de Jonathan Fanara

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« Easy Rider » : thèse et antithèse de l’Amérique

Publié par Jonathan Fanara sur 13 Avril 2016, 18:33pm

Catégories : #Cinéma

L’histoire donne parfois lieu à de belles surprises. Malgré un budget resserré de 325 000 dollars, les accès de paranoïa de Dennis Hopper, des heures d’images inutilisables, une ambiance de tournage délétère et un premier montage calamiteux, Easy Rider aura finalement marqué le cinéma de son empreinte… Avec un postulat tout simple. Presque schématique.

 

Deux cavaliers traversent l’Amérique normative et puritaine, parcourent le temps et l’espace, substituent aux conventions canoniques le droit à la différence. Pourvus d’un butin considérable, sensibles à toutes formes d’abandon, ils jettent un jour inédit sur une société au bord de la rupture, où l’alternatif le dispute au traditionnel, où les communautés hippies évincent les faubourgs embourgeoisés, le tout couvert par le bruissement des choppers et le tintamarre des normes qui s’entrechoquent. En inscrivant l’affranchissement au frontispice d’Easy Rider, Dennis Hopper sonne le glas d’un monde vieillissant, peuplé de rednecks racistes et réactionnaires, auxquels il objecte, en signe d’antilogie, des marginaux irréductibles, entichés de liberté autant qu’épris de grands espaces sauvages. Au cours d’une épopée sans bride ni lest, on entrevoit ainsi le divorce de deux Amériques dépareillées, occupées à se dédaigner et se regarder en chiens de faïence, hostilité immortalisée à la faveur d’une séquence édifiante dans un café-restaurant quelconque.

 

Manifeste cinématographique du Flower Power et de la contre-culture états-unienne des années 1960-1970, Easy Rider se livre à un montage occasionnellement épileptique et s’essaie à de nouvelles façons de narrer – fish-eye, flash-forwards, jump-cuts, contre-jours, effets de style warholiens. Non contents de sillonner les routes urbaines, désertiques ou rurales d’une Amérique protéique, Dennis Hopper et Peter Fonda font la courte échelle au Nouvel Hollywood, révolution en marche concomitante aux mouvements pacifistes et des droits civiques, s’inscrivant à rebours d’une créativité désormais endiguée par les studios. Entre deux partitions de Steppenwolf et Jimi Hendrix, Easy Rider en arrive à noyer les codes du western dans un lac hippie d’errance et d’inconséquence, amorçant une contre-conquête du territoire initiée par des motards lunettés aussi barbus qu’euphorisés. La représentation de la société alternative est ainsi actée ; elle fera rimer la liberté avec le voyage, le libertinage, la drogue et la musique.

 

Avocat défenseur des droits civiques, non-conformiste et alcoolique, le personnage campé par Jack Nicholson sonne comme une tentative inaboutie d’établir un lien entre deux Amériques aux conceptions désespérément dissonantes. Prestement flanqué des deux héros, il est le chaînon manquant, celui qui permet d’aboutir à trois appréhensions distinctes des mouvements sociaux, jugées au mieux inconciliables, au pire tragiques. Battu en brèche, le rêve américain finit par ressembler à un tas de cendres, bientôt soufflé par un vent d’hypocrisie ou une tempête d’animosité, emporté loin des intolérances et des préjugés. Bien qu’entaché d’imperfections, Easy Rider demeure aujourd’hui encore un précieux témoignage sur une époque irrésolue, où les trips sous LSD et les logorrhées autour d’un feu de camp contrebalancent une vision noire et mortifère des rapports humains. Un conte amer et cruel, qui doit beaucoup au chef opérateur László Kovács, dont l’ingéniosité et l’expérience furent – littéralement – indispensables.

 

 

Lire aussi :

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"Soleil vert" : en partance pour l’enfer

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