Manchester, fin des années 1970. Étoile montante du post-punk, Ian Curtis traverse une double rupture. Mentale et familiale. Après avoir hâtivement noué le pacte conjugal et mis sa carrière sur rampe de lancement, le jeune Britannique s’entiche d’une journaliste belge et commence à souffrir du vertige de la notoriété. À l’ivresse des premiers amours succèdent la lassitude et les atermoiements. Sur l’envie d’éclater au grand jour prennent le pas le repli sur soi et les crises d’épilepsie. Figure en détresse flirtant constamment avec la dépression, le leader des Joy Division semble plus que jamais suffoquer dans le désespoir et les humeurs furieusement bariolées.
Se basant sur les écrits de Deborah Woodruff, la veuve de Ian Curtis, Anton Corbijn échafaude un Control dense et elliptique, portraiturant à la fois un homme et sa génération. Pudique et poignant, ce biopic désillusionné, entrecoupé de bribes de concerts, immortalise un Sam Riley réduit à l’état de débris humain, d’aura écornée sombre et déchirante. Incapable d’abandon ou de plaisir, l’icône naissante du mouvement new wave apparaît perpétuellement au bord du gouffre, au seuil d’une implosion imminente. Mis à nu par des séquences d’une beauté iconique rare, ses remous intérieurs vont sous-tendre un portrait sensible et lyrique, où les tensions sourdes étranglent sans retenue les rires chevalins.
Film de photographe, Control obéit à un cadrage tatillon et une réalisation à l’épure, faisant de chaque plan une vérité abrupte prête à se dévoiler. Une beauté formelle et picturale qui n’atténue ni les mines décrépites, ni les crises de suffocation, ombres piégées d’une nébulosité qui les dépasse. Car ce qu’Anton Corbijn dépeint avec talent, c’est avant tout l’itinéraire d’une déchéance inviolable.
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