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Le Blog de Jonathan Fanara

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Comment Ignaz Semmelweis est entré dans l’histoire

Publié par Jonathan Fanara sur 21 Février 2014, 20:05pm

Catégories : #Société

Au milieu du 19ème siècle, en Europe occidentale, il n’est pas rare qu’une femme accouche chez elle, en pleine rue, voire à l’épicerie du coin. Bien que des maternités offrent leurs services aux futures mères, beaucoup préfèrent encore recourir aux sages-femmes et mettre au monde leur enfant à domicile. D’autres, moins chanceuses, se voient contraintes de vivre l’« heureux événement » en milieu inhospitalier. Mais ces dernières sont-elles pour autant plus à plaindre que les patientes de l’Hôpital Général de Vienne ?  Permettez-nous d’en douter.

 

Quand le Dr Ignaz Semmelweis prend la direction du service d’obstétrique de cet établissement autrichien, le taux de mortalité lié aux accouchements y crève tous les plafonds. À l’époque, mieux valait perdre les eaux au beau milieu d’une bagarre de bistrot plutôt que parmi les obstétriciens de la maternité viennoise. Entre 1841 et 1846, la fièvre puerpérale y cause en effet la mort de presque 10 % des patientes transitant par le pavillon des médecins. Détail qui a son importance : dans le même temps, le pavillon des sages-femmes gravite, lui, autour des 4 % !  Vous n’en croyez pas vos yeux ?  Eh bien, les demi-dieux en blouse blanche non plus !  Plus embarrassés qu’un voleur de crottin pris en flagrant délit, ils cherchent à se dédouaner en avançant des explications sans rime ni raison. Ainsi, ils incriminent, sans le moindre scrupule, leur patientèle, accusée de somatiser ou de se livrer à de piètres régimes alimentaires, mais aussi les « miasmes de l’atmosphère viciée des salles d’accouchement » ou encore le stress induit par la présence de praticiens hommes – la médecine restant, rappelons-le, leur domaine réservé à cette époque.

 

À boire et à manger, donc. Devant l’inanité patente des arguments déployés, Semmelweis décide de prendre le taureau par les cornes. Une question le taraude particulièrement : pourquoi les patientes du pavillon des sages-femmes contractent-elles moins souvent la fièvre puerpérale que celles soignées par les obstétriciens ?  Tandis que notre homme rassemble des éléments pour percer ce mystère, le hasard vient quelque peu lui faciliter la tâche. La mort soudaine d’un professeur qu’il tenait en haute estime lui montre en effet la voie à suivre. Malencontreusement coupé au doigt par un élève distrait qui réalisait une autopsie, il développa rapidement des symptômes en tous points similaires à ceux des patientes de l’Hôpital Général – pleurésie bilatérale, péricardite, péritonite, méningite. De toute évidence, le vieil homme avait succombé à l’inoculation de particules cadavériques dans son système vasculaire. Semmelweis, clairvoyant, sait qu’il tient là une piste sérieuse.

 

Il décèle sans tarder ces mêmes particules dans le flux sanguin des patientes décédées au sein de sa maternité. Alors même que les autopsies se répandent comme une traînée de poudre dans les hôpitaux universitaires – quoi de mieux, pour apprendre, que d’opérer directement sur les organes ou le sang ? –, les cas de fièvre puerpérale évoluent en corrélation directe avec elles. Dans les faits, les femmes perdant la vie lors d’un accouchement sont immédiatement transférées en salle d’autopsie, accompagnées par les obstétriciens et les internes. Une fois l’analyse du cadavre dûment effectuée, ces mêmes médecins regagnent la maternité pour y mettre au monde d’autres enfants. Entre les deux actes médicaux, ils se contentent, au mieux, de se rincer sommairement les mains. Voilà, grossièrement résumé, comment les futures mères contractent la maladie qui leur est fatale. C’est donc – ô surprise ! – aux praticiens eux-mêmes que revient l’entière responsabilité du décès de leurs patientes.

 

Têtue comme une mule bretonne, la communauté médicale attendra cependant presque vingt ans avant d’accepter (enfin) la théorie des germes. Semmelweis, lui, avait déjà tout compris depuis bien longtemps. Et puisque la fièvre puerpérale résultait manifestement d’un cruel manque d’hygiène, il imposa aux obstétriciens exerçant dans son service de se désinfecter les mains à l’eau chlorée avant de rejoindre les salles d’accouchement. Un geste simple comme bonjour, qui sauvera chaque année, à l’Hôpital Général, des dizaines de vies. C’est ainsi que le Dr Ignaz Semmelweis entra dans l’histoire, bien avant que Louis Pasteur ne défende à son tour les vertus de l’asepsie.

 

 

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